Le tarissement, primordial à la réussite de la future lactation

Cette intervention de Yann Martinot, directeur technique d’Orne Conseil Elevage avait pour thème la réussite du début de la lactation. Pour cela, il est nécessaire de comprendre la physiologie et le métabolisme des vaches modernes, et savoir comment le mettre en œuvre sur le terrain.

Perdre 10% de digestibilité de la ration, c’est perdre 10€/KL pour des rations dont le coût moyen est de 100 €/kL. Or beaucoup de mauvaises pratiques autour du vêlage entrainent des pertes de digestibilité pouvant aller bien au-delà de 10%. Une grosse partie de la réussite de la lactation se joue pendant le tarissement.

Tarissement

Le tarissement a 3 objectifs principaux :

Reconstituer le tissu sécrétoire mammaire : Pour être atteint, cet objectif nécessite au moins 5 semaines d’arrêt de production, nécessaires pour optimiser le potentiel laitier de la lactation suivante. Attention aux stress pendant cette période qui peut engendrer une perte de production pouvant aller jusqu’à 5 litres en début de lactation.

Couvrir les besoins alimentaires : Maitriser la reprise d’état et la préparation vêlage nécessiterait 3 phases (couper le lait, régime de croisière (delta NEC), puis préparation vêlage). Or il y a bien souvent qu’un seul lot de vaches taries. Il faut donc un compromis avec quelques jours seulement au foin, puis une ration permettant une reprise d’état qui doit être comprise entre 0 à 0.5 points NEC quelle que soit la situation NEC de début de tarissement (pas conseillé d’aller au-delà de 0.5 point même pour les vaches maigres). Pour cela 5kg de MS ensilage maïs + 1kg de correcteur + foin à volonté est suffisant. Pour estimer les 5 kg de MS de maïs, un repère de temps de 2h peut être utilisé. Ajuster cette quantité de maïs en fonction de la reprise d’état recherché. Si des vaches sont grasses au moment du tarissement, descendre cette quantité de maïs à 2-3 Kg, mais ne pas chercher à les faire maigrir, juste à maintenir l’état d’engraissement. Il convient également d’adapter cette quantité à la durée de tarissement (et augmenter cette durée pour les primipares par rapport aux multi)

Nutrition : Il est indispensable de garder le volume du rumen avec des fourrages grossiers à volonté (foin). Il est tout aussi fondamental de préserver la taille des papilles pendant le tarissement pour valoriser les rations de début de lactation mais aussi pour prévenir l’acidose. Quand ce n’est pas le cas, on carbonise l’intérieur du rumen en ne permettant pas d’évacuer rapidement l’acide produite. Les vaches maigrissent alors, et bien souvent on accentue ce phénomène en leur distribuant plus de concentrés. Pour maintenir la taille des papilles il faut fabriquer dans le rumen des chaines carbonées en C3 grâce à l’amidon. Il faut donc, en plus du foin, distribuer un peu d’ensilage maïs et/ou concentrés et/ou herbe jeune qui apporteront cet amidon peu présent dans le foin (riche en cellulose).

A noter également que plus ce tarissement sera long, et plus la diminution de la taille des papilles sera importante. Il faut 2 mois pour remettre les papilles en état de marche lorsqu’elles sont au plus bas. Leur efficacité dans le rumen varie de 1 à 5 en fonction de leur taille. Intérêt donc de toujours garder un fond de cuve dans le rumen pour conserver la flore microbienne du rumen, et assurer une bonne transition avec le début de lactation. Trois semaines sont nécessaires pour la transition avec la ration des laitières. Possibilité d’incorporer les taries au laitières sauf si aliment riche en calcium ou bicarbonate distribuée aux laitières.

Cas Particulier des fièvres de lait

Quand une vache fait une fièvre de lait, il y a 3-4 vaches qui n’ont pas fait de fièvre de lait d’un point de vu clinique, mais qui ont été malades et seront pénalisées fortement en début de lactation (baisse de production laitière, non délivrance, problème d’immunité, cellules, etc etc). Les conséquences indirectes sont donc importantes et très pénalisantes sur la conduite du troupeau. Il est donc primordial de tout mettre en œuvre pour prévenir les fièvres de lait dans un troupeau.

La Fièvre de lait se caractérise par une baisse du niveau sanguin en Calcium (et Phosphore), entrainant des problèmes de locomotion et comportement, les muscles de la vaches ne travaillant plus correctement. Cela a pour origine un déstockage de calcium insuffisant pour parvenir aux besoins imposés par la production de colostrum. En effet l’absorption de Calcium ne sera jamais suffisante pour répondre aux forts besoin de l’animal, il faut donc pour l’animal passer rapidement du stockage de calcium au déstockage. Nous devons aider la vache à optimiser le déstockage et la mobilisation du calcium. Les fièvres de lait arrivent donc lorsque la ration des taries et la préparation vêlage n’est pas adaptée

Pour faire déstocker une vaches en Calcium, 2 façon de faire : soit mettre la vache en carence P et Ca (mais difficile à estimer et à mettre en place), soit la mettre en acidose sanguine (faire baisser le pH sanguin) avec une BACA* négative et un BEA* abaissé (moins de 100 mEq/Kg) avec distribution de sels anionique (Chlorure de Magnésium). Il convient donc d’apporter un aliment adapté pour obtenir cette acidose sanguine et bien déstocker. Il faut pour cela que la ration des vaches taries soit adaptée, avec des apports limités en Calcium (50 à 60g/jour) et Phosphore (35 à 40g/jour) et d’augmenter la distribution de Magnésium. Il est important également de ne pas avoir de vaches en état d’engraissement excessif. Faire attention au bicarbonate qui  n’est pas conseillé sur les débuts de lactation car défavorable au déstockage de calcium et Phosphore.

Pour les vaches taries qui pâturent exclusivement, veiller à n’avoir que des graminées, et attention aux parcelles surpaturées qui vont favoriser pousse du trèfle. Attention aussi aux prairies trop riches pour lesquelles il est nécessaire de limiter la part pâturée et offrir suffisamment de foin pour éviter un état d’engraissement trop important.

La fièvre de lait due au calcium apparait en générale 2 jours après le vêlage. Il existe aussi une fièvre de lait due au mauvais déstockage du Phosphore qui apparait plus tard, au bout d’une semaine de lactation. Les bonnes pratiques à mettre en œuvre sont les mêmes que pour le Calcium.

Début de lactation

Les objectifs principaux du début de la lactation sont d’assurer la production laitière, optimiser les apports énergétiques et azotés, gérer l’amaigrissement de la vache, et limiter les problèmes métaboliques. Ce dernier point est le plus complexe car la prévention de l’acidose et de l’acétonémie est une histoire de compromis à trouver dans le rationnement du début de lactation.

Maitriser les acétonémies. L’acétonémie est très présente en élevage laitier, entrainant mammites et métrites, vaches pas en forme, baisse de production, et amaigrissement. Les symptômes pouvant être observés sont une haleine avec odeur de pomme, et des bouses hétérogènes dans le troupeau. Par contre seulement 20% des cas sont visibles, il y a donc beaucoup d’acétonémie sub-clinique dans les troupeaux. Le nombre de vaches avec un rapport TB/TP anormalement élevé (supérieur à 1.5) est un bon indicateur de ces acétonémies sub-cliniques (sensibilité et spécificité du rapport à 60 et 66%). Vous trouverez ce critère sur votre valorisé au niveau de la cible. A l’avenir, les corps cétoniques présent dans le lait devraient pouvoir être analysés, permettant une détection fiable et systématique des animaux en acétonémie.

Ce problème métabolique est la conséquence d’une accumulation de corps cétoniques (Bétahydroxybutirate et acétone) dans le sang, ayant 3 origines :

-  Lipomobilisation des acides gras non estérifiés (AGNE) lorsque la vache mobilise fortement ses réserves corporelles en début de lactation pour produire du lait. Le profil de la ration doit donc en début de lactation être orienté pour transformer au maximum les AGNE en glucose. Pour cela il faut du propionate dans le rumen, et donc maximiser l’apport d’acides aminés néoglucoformateurs (arginine, histidine, méthionine, thréonine et valine). Par contre la leucine et lysine sont cétogènes. Il faut aussi apporter du glucose (amidon by pass) car le glucose contribue également à transformer les AGNE en énergie dans le foie.

-  Origine alimentaire avec présence d’Acétates et Butyrate dans les ensilages mal conservés, trop humides, qui se distinguent par une forte odeur.

-  Origine digestive avec une production de chaines carbonées en C2 (acide acétique) et C4 acide butirique) trop importante dans le rumen du fait de précurseur en quantité trop importante dans la ration. Il faut donc privilégier les rations riches en précurseurs de chaînes carbonées en C3 (aliments riches en amidon) qui vont de leur côté transformer les acides gras en glucose : privilégier les ensilages de maïs aux ensilages d’herbe, les concentrés « amidon » aux concentrés « paroi ». De plus, tous les aliments riches en sucres (mélasse, betterave, etc etc) et la matière grasse sont à limiter ou proscrire.

Il y a 3 types acétonémie

-    Acétonémie type 1 : vaches maigres, déficit énergétique important et amaigrissement : remonter les apports énergétiques de la ration. Cet amaigrissement commence souvent avant le vêlage, d’où l’importance d’une bonne gestion alimentaire en fin de tarissement

-   Acétonémie type 2 : vaches grasses et résistantes à l’insuline. Plus la vaches vêle grasse, plus elle va mobiliser sur ses réserves et maigrir, et produire de corps cétoniques. Il y a peu de marge de manœuvre, car cela s’est joué précédemment au tarissement. A l’avenir, être vigilent pour ne pas avoir une NEC supérieur à 3 au tarissement.

-   Acétonémie type 3 : distribution d’aliment cétogène (ensilages mal conservés, trop humides, mélasse, betterave, …) : retirer ou limiter ces aliments de la ration des laitières en début de lactation.

Traitement des acétonémies : Le propylène glycol est le seul réellement efficace mais reste très  cher. Il n’est donc à n’utiliser que si nécessaire. Pendant le tarissement (car amaigrissement commence souvent en fin de gestation) et 1er mois lactation. Le glycérol n’est lui pas recommandé car son efficacité est limitée.

Maitriser les acidoses

Les acidoses sub-cliniques sont fréquemment rencontrées, car les situations à risque sont de plus en plus présentes en élevage : l’augmentation du niveau d’ingestion de MS avec les vaches modernes, et la production de maïs ensilage plus ingestible et digestible, entraine au niveau du rumen une production d’acide plus importante et rapide que précédemment. Cette production d’acide, pas toujours maitrisée a des conséquence grave sur le métabolisme de l’animal. De plus, la détection de ces acidoses sub-clinique est difficile car il n’existe pas de signes cliniques spécifiques.

Ce qui peut être observé et analysé :

-  Les bouses : liquides, ou très hétérogènes

-  Les boiteries : fourbure, corne tendre, ulcère de la sole)

-  Des TB bas (voir inversion de taux)

Les autres symptômes (non visibles) résultants des acidoses sub-cliniques :

-   Une baisse de digestibilité de la ration (-5 à -10%)

-   Une immunodépression entrainant notamment des mammites

-   Des NEC faibles (moindre valorisation de la ration)

-  Parakératose : 1/3 des vaches observées en abattoir en sont victimes

-  Ruminite : inflammation de la paroi du rumen

-  Perforation du rumen

Mettre les vaches en parakératose va très vite (3 semaines), par contre cela met ensuite plusieurs mois à revenir à la normale (jusqu’à 12 mois). Quand nous voyons des symptômes d’acidose tels que la boiterie, le phénomène d’acidose du rumen est très ancrés, avec des conséquences importantes.

Les vaches en acidose ont une moins bonne valorisation de la ration, entrainant une baisse de la production laitière et un amaigrissement. Malheureusement, souvent pour remédier à ces conséquences, on reconcentre la ration en énergie pour faire plus de lait et contrecarrer cet amaigrissement. On amplifie alors le problème, et se met alors un cercle vicieux dont il peut être difficile de s’extraire.

L’acidose a 3 grandes origines :

-  Physique : maitrise de la fibrosité. La rumination entraine la production de salives riches en tampon. Cette rumination dépend essentiellement de la taille des particules ingérées, et de leur vitesse de dégradation dans le rumen. L’indice de fibrosité (temps d’ingestion et rumination) est un bon indicateur du potentiel acidogène de la ration. L’idéal est qu’il soit supérieur à 40 minutes. Il n’est pas nécessaire que les fibres grattent la panse pour optimiser la rumination. La luzerne n’apporterait donc pas de plus-value par rapport au foin sur la rumination.

-  Chimique : maitrise des fermentations. La production d’acide dans le rumen varie en quantité et en type : C2, C3 et C4. En effet, pour éviter l’acidose, la teneur de la ration en cellulose brute (précurseur de C2) doit etre au moins équivalente à 17%, et la teneur maximale des rations en amidon (précurseur des C3) doit être inférieur à 25% / 30% (20% amidon ruminal et 5 à 10% d’amidon by-pass), car sinon cela augmente fortement le risque d’acidose de la ration. De plus, la dégradabilité de l’amidon des différents éléments de la ration doit être prise en compte. Les tables INRA 2011 nous renseignent sur ce critère. De plus, l’amidon du maïs est plus dégradable lorsque la MS est inférieur à 32%, lorsque le hachage est fin, ou en fin de silo. En effet, la dégradabilité de l’amidon de l’ensilage de maïs évolue avec le temps, de sorte que les vieux ensilages de maïs sont plus acidogène. Il s’avère important d’en tenir compte dans nos pratiques de rationnement.

-  Cinétique : maitrise des transitions et distributions. Il est primordial de faire des transitions pour tout changement de ration, entre tarissement et lactation, entre les différents silos, à la mise à l’herbe… De plus, il est nécessaire de fragmenter les apports de concentrés dans la journée, et ne jamais dépasser 2 Kg en une seule prise.

Entre la prévention de l’acidose et de l’acétonémie, la production laitière à assurer, et la préparation à la reproduction, le début de la lactation est une affaire de compromis et de gestion des facteurs de risques présents. Ce n’est pas toujours évidents à réaliser, et il convient donc d’observer son troupeau de façon pointu pour manager au mieux et prévenir ces risques.

 

*BEA (Bilan Electrolytique Alimentaire) = Na+ K+ Cl-

*BACA (Bilan Alimentaire Cation Anion) = BEA + Souffre. Le Souffre est difficile à doser, donc on utilise souvent la BEA qui estime très bien la BACA, excepté pour les rations avec tourteau de colza.

Télécharger toute l'intervention. (pdf 4Mo)

Voir aussi : 

- La mise en lumière d'un problème de la conduite de nos taries

 

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