La ferme expérimentale des Trinottières dans le Maine-et-Loire travaille depuis plusieurs années sur l’élevage des génisses. Les expérimentations ont porté sur la durée d’élevage, les plans d’alimentations au cours des différentes phases de croissance dans un souci de simplification du travail et d’efficacité économique. La phase d’élevage s’étalant de 0 à 6 mois, s’avère être une étape-clé car indépendante de toute considération liée à l’âge au vêlage. Retour technique, économique et sanitaire sur cette étape essentielle.
Quelques pré requis indispensables à l’élevage des jeunes
Tarissement et vêlage
L’élevage des génisses démarre dès la phase de préparation au vêlage : l’alimentation des vaches taries et de bonnes conditions de vêlage sont des préalables indispensables pour bien commencer une carrière laitière.
L’alimentation des vaches taries
La note d’état corporel à rechercher au vêlage est de 3 à 4. Trop grasse, une mère aura des difficulté de vêlage et le veau pourrait en pâtir, trop maigre, la mère ne produira pas un colostrum de qualité et pénalisera du même coup les premières buvées de son veau.
Il faut donc rechercher une ration équilibrée en énergie, azote et minéraux. Il faut compter une ration de vache en lactation pour 3 ou 4 vaches taries
Exemple de ration de vache tarie :
- 4/5 kg MS d’ensilage de maïs+ correcteur azoté 0,8 à 1 kg+ 150 g AMV + foin ou paille à volonté
- Au pâturage : Herbe + foin (si conditions humides) + 50 g AMV (ou bloc à lécher)
Un lieu de vêlage propre
L’animal doit vêler dans un endroit propre (box de vêlage convenablement paillé et aéré, idéalement vêlage au pâturage) pour limiter les risques sanitaires (mammites, para-tuberculose en cas de têtage) et d’omphalophlébite (infection par le cordon ombilical).
Le logement des jeunes
Il s’agit à la fois d’assurer le confort et la santé des animaux mais aussi de faciliter le travail de l’éleveur.
Les trois premières semaines qui suivent le vêlage, il faut privilégier un logement individuel (case individuelle ou niche) pour limiter les risques de transmission d’infection. Pour les niches à veau il faut préférer des niches en polyester qui disposent d’un isolant qui permet de garder des températures supportables.
Les semaines suivantes, on peut passer les animaux en case collective jusqu’à la mise à l’herbe.
Il faut veiller à ce que, dans une même niche, entre chaque veau un vide sanitaire de 2 à 3 semaines soit respecté : curage, nettoyage et désinfection pour limiter les risques sanitaires et de transmission de maladies. Il est important de curer et désinfecter la case mais aussi de changer de place les niches dans la mesure du possible.
Il est préférable de séparer les mâles des femelles pour limiter l'introduction d’agents extérieurs auprès des femelles (maquignons,…).
Des outils d’élevage indispensables
L’élevage des jeunes nécessite un équipement de base constitué :
- D’un réfractomètre : pour analyser la valeur du colostrum et du coup ajuster les doses à administrer pendant la phase lactée.
- Un chauffe-lait : pour distribuer un lait à bonne température pour une meilleure ingestion et digestibilité.
- Un pichet doseur : pour être le plus précis possible dans les quantités distribuées.
- Un réhydrateur de veau : en cas de problème de têtée à la naissance,
- Biberons et tétines flottantes : pour alimenter le veau à la naissance puis développer son réflexe de succion.
- un mètre-ruban ou balance : pour mesurer régulièrement le tour de poitrine ou le poids des génisses et s’assurer de la bonne prise de poids.
Quelques chiffres clés pour réussir son élevage de génisses (race prim’Holstein, âge au vêlage 24-28 mois)
Quelque soit l’âge au vêlage visé, il faut atteindre 200 à 210 kg de poids vif à 6 mois. La période d’élevage comprise entre la naissance et les 6 premiers mois de l’animal est une phase essentielle car elle correspond au développement squelettique et musculaire des animaux. La période suivante (6-12 mois) sera également importante car elle correspond à l’atteinte de la puberté et la mise en place du tissu mammaire (phase où il faudra veiller à ne pas qu’elle s’engraisse trop car pénalisation de la mamelle et du potentiel laitier de l’animal).
[1] Si vêlage 30 mois : viser un GMQ de 600 g/j entre 6 mois et IA. Si vêlage 36 mois : viser un GMQ de 600 g/j entre 6 et 12 mois, 500 g/j entre 12 et 24 mois puis 400 g/j entre 24 et 27 mois.
L’alimentation
On distingue dans cette période trois phases d’alimentation spécifiques : la phase lactée, la phase de sevrage et la phase post-sevrage.
La phase lactée
La buvée du colostrum
Le colostrum est un produit extrêmement riche (25% de MS) en matière grasse et en protéines (immunoglobulines). Il est indispensable à l’immunisation des veaux contre les infections post-partum. C’est pourquoi, la buvée du colostrum doit intervenir immédiatement après le vêlage (2h maximum). La figure 1 montre que la capacité du veau à absorber les anticorps diminue aussi vite que la concentration en anticorps du colostrum. Ainsi, 8 heures après le vêlage, l’efficacité du colostrum a diminué de 75%.
Idéalement, le veau doit absorber de 2 à 4 litres de colostrum dans les 2 premières heures puis 2 litres dans les 10 à 12 heures suivantes. En hiver, la prise en 3 repas peut être une solution pour renforcer l’immunisation des jeunes veaux.
Figure 1 : parallèle entre la baisse de la concentration en anticorps du colostrum et la baisse de la capacité d'absorption des anticorps par le veau
Lait entier/produit d’allaitement ou lait fermenté en 1 ou 2 repas
Lait entier : c’est le lait issu des 14 premières traites (Lait non Commercialisable, LNC) qui peut être mélangé avec le lait des vaches à cellules. Par contre, il faut exclure le lait des vaches en traitement (le lait d’attente pourrait être mélangé au LNC). Il faudra être vigilant sur la qualité du lait distribué (TB particulièrement) pour adapter les quantités :
Produit d’allaitement (poudre de lait) : 200 g de poudre+800 g d’eau = 1l de buvée reconstituée
Lait fermenté : Ce lait est partiellement digéré par les bactéries et donc facilite la digestion par la caillette. Il ensemence le tube digestif et évite l’installation de bactéries pathogènes. Ainsi, le risque de diarrhée chez les jeunes veaux est fortement réduit. Sa préparation
1er jour : dans un bac mettre 20 litres de lait + 4 yaourts, laissé à 20°C pendant 24 h ;
2ème jour : transférer dans un tank réfrigéré à 5°C, et rajouter, quotidiennement, le surplus de LNC de la traite du matin. Le soir extraire le volume de lait nécessaire à la buvée du lendemain matin. Au bout de 4 mois, il faut nettoyer la cuve réfrigérée et relancer une fermentation car une odeur forte commence à apparaître.
Différents plans de buvée possibles en fonction du produit d’allaitement choisi (cf ci-contre) :
Quelque soit le produit d’allaitement choisi, il apparaît que la distribution en 1 repas/jour ne pénalise pas la croissance et la prise de poids des animaux mais que les gains en temps de travail et sur le plan économique sont très intéressants.
CONCLUSION SUR LA PHASE LACTEE :
- Préférer le lait de mélange : moins variable en MG
- Respecter la température de buvée (40° C) grâce au réchauffe-lait
- S’assurer des volumes distribués avec un pichet gradué
- Des concentrés à disposition dès la 2ème semaine avec eau propre et foin
- Des concentrés appétant en permanence et distribué matin et soir - refus tous les matins
- Sevrer le lendemain de la suppression de la buvée (le lundi)
Le sevrage
Quand sevrer ?
La phase de sevrage est l’étape ou le concentré va prendre le relais du lait en quantité ingérée. Ainsi, il ne faut sevrer les animaux que lorsque les génisses consomment au moins 2 kg de concentrés (2 kg de concentré = 1 kg de MS de lait = 8 l de lait entier) et ont doublé leur poids de naissance.
Cette phase doit a donc été préparée tout au long de la phase lactée en diminuant petit à petit les quantités de lait distribués et les animaux compensent par l’ingestion du concentré mis à disposition.
Attention il faut éviter :
- les changements brutaux d’alimentation :garder le même fourrage et le même concentré que pendant la phase lactée
- les perturbations physiologiques telles que l’écornage, le changement de logement ou tout autre manipulation des animaux qui pourrait générer un stress.
Sevrage précoce ou tardif ?
L’expérimentation menée sur la ferme expérimentale des Trinottières, entre la conduite d’un lot en sevrage précoce à 8 semaines au lait fermenté et la conduite d’un lot en sevrage tardif à 16 semaines au lait entier.
Les plans d’alimentation testés :
Dans les deux cas, un concentré unique proposé : 70% de triticale aplati +30% de colza+20 g de 0/28/5
Le bilan de l’expérimentation a montré que le sevrage précoce présentait plusieurs avantage :
- diminue le temps de travail et simplifie les tâches ;
- est économiquement plus rentable : gain de 87 € pour 10 veaux ;
- limite les problèmes sanitaires (réduction des diarrhées).
Toutefois, le sevrage précoce nécessite :
- un lait de qualité (équilibré en taux sur la durée de l’élevage),
- une précision des quantités distribuées.
Si toutes les conditions ne sont pas réunies, il vaut mieux tabler sur un compromis avec sevrage à 9/10 semaines et distribution d’1 repas/jour à partir de la 3ème semaine.
Du post-sevrage à 6 mois : objectif 210 kg à 6 mois
Afin de ne pas perturber les animaux, il est préférable de garder le même fourrage et le même concentré tout au long de la phase 0 à 6 mois. Mais il n’y a pas de bon et de mauvais fourrage, ni de bon et de mauvais concentré : tout est histoire d’équilibre et de quantité mise à disposition des animaux.
Fourrages utilisables :
- foin (graminées ou légumineuses ou mélange) ;
- paille (avoine, blé ou orge, non raccourcie, hachée et en bon état de conservation) ;
- maïs ensilage.
Concentrés :
Mélange fermier ou issu du commerce, l’équilibre à rechercher est : 1 UF, 110 g/kg brut de PDI et 17% de MAT sont suffisants (pas de différence significative par rapport à un concentré avec 20% de MAT). Il ne faut pas négliger l’apport en minéral.
Exemples de concentrés équilibrés :
- 80% blé aplati ou Maïs grain entier+20% soja +20 g de 3.5/27/5
- 70% blé aplati ou maïs grain +30% colza + 20g de 0/28/5
- 60% maïs grain + 40% lupin +20 g de 3.5/27/5
- 50% maïs grain + 50% pois +20 g de 3.5/27/5
- 65% maïs grain +35% féverole+20 g de 3.5/27/5
La quantité de concentré va augmenter progressivement et sera fonction du fourrage grossier l’accompagnant.
La conduite des génisses avec de l’ensilage de maïs est également possible mais dans ce cas :
Les pathologies les plus courantes chez les veaux
Deux maladies parasitaires se retrouvent très fréquemment chez les jeunes génisses :
La coccidiose
Symptômes et facteurs aggravant
Caractérisée par des diarrhées noirâtres et ou rougeâtres de 15 jours à 6 mois, elle pénalise la croissance et peut-être traitée par des anticoccidiens.
L’acidose, les stress (écornage, changements alimentaires,…) peuvent favoriser son déclenchement. Les litières humides et chaudes sont très favorables à son développement.
Diagnostic et traitement
Le diagnostic passe par une coprologie de lot : prélèvement de 10 g de bouse minimum, directement à sa sortie, sur minimum 5 veaux.
Plusieurs traitement spécifiques existent :
•Sulfamides
•Décoquinate : efficace sur adulte mais nécessite un traitement sur plusieurs semaines (1 cycle = 3 semaines) de manière à élimer toutes les générations de parasites.
•Toltrazuril ou amprolium détruisent tout et s’utilisent en curatif ou préventif (non rémanent).
En prévention : entre chaque lot, il faut prévoir le nettoyage, la désinfection et un vide sanitaire de 2 à 3 semaines des cases ou niches à veaux (ex : eau bouillante sous haute pression, puis désinfecter et laisser sécher).
La cryptosporidiose
Symptômes et facteurs aggravant
Elle est liée à un parasite de l’intestin grêle très contagieux.
Ses symptômes sont l’apparition de diarrhées verdâtres nauséabondes et glaireuses qui peuvent durée de 4 à 15 jours.
Ces diarrhées sont porteuses d’ookystes qui vont se déposer dans la litière et qui vont être très résistantes (plusieurs mois) et qui vont contaminer d’autres animaux. La cryptosporidiose peut être grave (mortalité de 5 à 10 %) surtout si elle est associée à d’autres germes (la mortalité peut alors atteindre 30% des cas).
C’est une maladie qui se prévient plutôt qu’elle ne se soigne.
Les éléments préventifs : l’hygiène du logement des veaux
Les animaux doivent être logés dans des locaux propres et secs, en veillant à ne pas mélanger des animaux d’âges différents.
Entre chaque lot, il faut prévoir le nettoyage, la désinfection et un vide sanitaire de 2 à 3 semaines des cases ou niches à veaux (ex : eau bouillante sous haute pression, puis désinfecter au Prolil75®/Kenoccox®, puis laisser sécher).
Dans les élevages ayant un historique de cryptosporidiose, l’administration de Lactate d’halofuginone (Halocur®) dès la naissance peut prévenir l’apparition des diarrhées.
CONCLUSION
Il n’y a pas 1 seule manière de conduire ses génisses entre 0 et 6 mois tant dans le mode de logement, que dans l’alimentation ou encore les techniques d’élevage. Toutes les méthodes testées et évaluées permettent d’atteindre l’objectif des 200/210 kg à 6 mois. La réussite de cette phase tient pour beaucoup dans sa précision : quantités distribuées, régularité de la distribution, régularité de la qualité des aliments mis à disposition (renouvellement quotidien, retrait des refus, maintien des mêmes fourrages et concentrés tout au long de la phase).
Réussir la conduite des 0-6 mois, c’est assurer la longévité de l’animal et optimiser son potentiel laitier à l’âge adulte.
Sylvie DEMOULIN - Drome Conseil Elevage
Retrouvez le diaporama de l'intervention de David PLOUZIN
Pour savoir plus, consultez les résultats de notre enquête sur l'élevage des génisses de 2013 à laquelle 410 éleveurs ont répondu
Egalement disponible notre dossier complet sur l'élevage des génisses