Traitement des mammites : et si on changeait nos habitudes ?

La lutte contre l'antibiorésistance est un défi majeur et mondial de santé publique. La perte d'efficacité des antibiotiques impacte la santé humaine, animale et celle des écosystèmes.

 

 

 

 

Le plan ECOANTIOBIO 2012-2016 avait pour objectif de réduire de 25 % l’utilisation d’antibiotique en élevage. Ce fut un succès, puisqu’une baisse de 37 % a été constatée en fin de plan. Cependant, il reste encore un effort à fournir pour réduire de 50% l’emploi d’antibiotiques en médecine animale. Pour atteindre cet objectif, il est primordial de raisonner autrement le traitement des mammites cliniques en élevage afin de limiter le développement de l’antibiorésistance.

Quels sont les enjeux ?

Les mammites cliniques affectent encore en moyenne 25% des vaches en lactation. 70% des antibiotiques actuellement utilisés en élevages laitiers le sont dans le cadre de la santé mammaire. Or, encore trop d'antibiotiques sont utilisés à tort sur les mammites cliniques. En effet, quelques cas de mammites sont dus à des levures ou des champignons et il existe des cas où la guérison peut être spontannée (tableau 1). Aujourd'hui, il ne s'agit plus de traiter chaque mammite on sévère avec un antibiotique à l'aveugle, il est préférable de poser d'abord un diagnostic puis de traiter. L'intérêt pour les éleveurs est également économique, afin de limiter les coûts des traitements et la perte de production en étant plus efficace et en permettant une guérison rapide et totale de l'animal. 

Quel est l’intérêt d’un diagnostic étiologique préalable ?

Il est facile de détecter une mammite clinique à l’aide des symptômes connus : modification du lait, quartier enflé, parfois atteinte de l’état général de l’animal (fièvre, perte d’appétit etc.). Cependant il est impossible de trouver l’origine de cette mammite uniquement en se basant sur les symptômes cliniques. L’analyse bactériologique reste la meilleure manière de pouvoir connaitre le germe responsable de l’infection. L’intérêt est alors de connaitre sa cause et l’origine (environnement, traite) afin de pouvoir choisir le traitement et la prévention adaptés.

Tableau 1: guérison spontanée moyenne de mammites dues aux diverses bactéries isolées (compilation d’études scientifiques)

Quelles sont les étapes à suivre pour traiter une mammite clinique ?

La gestion d’une mammite clinique va dépendre de sa sévérité. Pour cela, nous identifions trois types de mammites cliniques :

·        Mammites de grade 1 ou bénigne : modification du lait

·        Mammites de grade 2 ou modérée : modification du lait et quartier enflé

·        Mammites de grade 3 ou sévère : modification du lait, quartier enflé et atteinte de l’état général de l’animal (fièvre, perte d’appétit etc.)

Toute mammite sévère doit être prise en charge par un vétérinaire, en particulier quand l’animal a de la fièvre, est affaibli, a perdu l’appétit, ne rumine plus. Dans ce cas, l’analyse bactériologique est obligatoire et le vétérinaire pourra administrer à l’animal un antibiotique d’importance critique, les seuls ayant démontré une forte efficacité sur ce type de mammite.

Pour les mammites non sévères, un arbre décisionnel mis en place par des vétérinaires, permet de déterminer les actions à mener. 

Aujourd’hui le principal frein à cette méthode est le délai de retour des résultats d’analyses bactériologiques qui peut être supérieur à 48h. Cependant de nombreuses études ont prouvé que le délai raisonnable d’analyse (de 24 à 48h) n’entrave en rien la guérison des mammites (cf Méta-analyse de De Jong et al. 2022).

Pour gagner en efficacité de traitement, il est nécessaire de raisonner celui-ci avec la production laitière, la parité et l’historique de l’animal. Cela permettra de déterminer la durée du traitement et l’intérêt ou non de traiter l’animal.

 

EARL La Roche de Lignerolles : « Réaliser des analyses bactériologiques nous a permis de mieux raisonner nos traitements, de diminuer notre utilisation d’antibiotique tout en augmentant nos chances de guérison et de comprendre l’origine des mammites de nos vaches »

 

M Chalier possède une exploitation de 65 ha, avec 4ha de maïs, 5 ha de céréales et le reste en herbe. Il conduit un troupeau de 45 vaches laitières de race Montbéliarde à 7200 kg de moyenne, en production AOP Cantal et Bleu d‘Auvergne. Sa fille Mathilde est salariée de l’exploitation depuis octobre 2022.

Comment avez-vous connu cette approche ?

Mathilde : J’ai effectué un stage de fin d’études d’école d’ingénieur au cabinet vétérinaire de Saint-Flour sur le thème des mammites en élevage bovin laitier avant de devenir salariée de l’exploitation. Mon étude consistait à connaitre les pratiques d’élevage concernant les mammites cliniques et subcliniques ainsi que la mise en place sur le terrain d’un outil automatisé, fiable et rapide d’analyses bactériologiques, appelé Mastatest.  Ce travail a permis également de proposer aux éleveurs un arbre décisionnel de traitement des mammites. Nous avons sur l’exploitation, depuis deux ans, un Mastatest qui est proposé également aux éleveurs voisins en cas de mammites cliniques non sévères.

 

Quels sont les avantages de cet outil ?

Nous gagnons ainsi en réactivité. L’avantage est de pouvoir lancer une analyse à n’importe quel moment, même tard le soir après la traite, ce qui permet de gagner 12h sur le retour des résultats en comparaison avec l’acheminement d’un prélèvement au cabinet vétérinaire. C’est un outil très facile d’emploi et d’interprétation. 4 analyses peuvent être lancées simultanément. Chaque résultat est transmis au cabinet vétérinaire qui adapte son protocole de soin en conséquence. Il est cependant primordial de communiquer, en plus du résultat du prélèvement, les informations complémentaires concernant l’animal : production, stade et rang de lactation de l’animal, quartier infecté et historique de traitement, lésions au niveau des trayons, derniers comptages cellulaires de l’animal et du tank. Ceci va influencer la durée du traitement et son efficacité. Pour soigner une mammite, 50% du travail consiste à identifier le germe et 50% à raisonner le traitement en fonction des informations complémentaires fournies.

Quel bilan pouvez-vous faire de ces 2 années d’utilisation ?

Nous avons analysé 65 échantillons (7 pour notre élevage et 58 pour les élevages voisins) sur 2 ans. 18% de ces échantillons ont déterminé une infection par E.Coli et 18% sortent stériles. Il s’agit donc de 36% de ces échantillons qui n’ont pas nécessité de traitement antibiotique. Le protocole mis en place avec le cabinet vétérinaire nous a permis de gagner en réactivité. Nous avons eu quelques mammites sévères qui ont été prises en charge rapidement, ce qui a permis d’augmenter les chances de guérison de la vache et du quartier. Le fait d’attendre les résultats de l’analyse au bout de 24h n’a aucun impact sur les chances de guérison de l’animal, nous avons pu le constater à de nombreuses reprises. Avec cette approche, nous constatons un gain de temps, un gain économique et une meilleure guérison des vaches infectées. Nous n’aurions jamais cru pouvoir guérir une mammite en administrant uniquement un anti-inflammatoire ! Mais dans certains cas, cela est possible.

 

Elisabeth Bonnal, Cantal Conseil Elevage et Olivier Salat, vétérinaire à la clinique de la Haute Auvergne

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