Tour de ferme - GAEC la ferme de Bovagne (74)

Réussir le mariage des traditions et de la modernité. La Balme de Sillingy est située à 10 km d’Annecy en Haute-Savoie. La population est passée de 600 à 6000 habitants en 50 ans. Une croissance similaire au reste du département qui n’enlève pas le caractère rural de la commune, aux dires des habitants. Quatre exploitations laitières sont présentes, parmi lesquelles le GAEC LA FERME DE BOVAGNE de la famille GENOUD. Les éleveurs relèvent le défi de marier les traditions à la rentabilité en jonglant avec l’environnement et les réglementations locales. Ils nous expliquent comment.

 

 

 

Présents depuis 1936 comme « fermiers », l’achat de cette ferme isolée par la famille GENOUD en 1980 avait été bien pensé. Quand on voit le nombre de maisons et de lotissements construits autour de LA BALME, on comprend la concurrence entre l’urbanisme et l’agriculture.

La commune est favorable au monde agricole, à l’image de la foire de La Bathie qu’elle accueille chaque automne.

Les habitants savent qu’il y a des ZNT désormais et certains se sont déjà adressés aux associés pour leur demander de bien appliquer la règle. C’est pourquoi l’an passé, le GAEC a acheté un tonneau avec pendillard afin de mieux valoriser les unités d’azote organique, pour limiter les odeurs auprès des maisons.

Située au pied de La Mandallaz et proche d’une forêt, cette ferme est bien isolée, au calme. Le passage de VTT, chevaux ou poussettes liés au tourisme est supportable quand cela ne se compte pas en dizaines et quand cela s’en tient aux limites des chemins. Les problèmes viennent des personnes qui passent à travers champs et qui pensent que la nature est un parc d’attraction ; sans compter les nuisances des chiens qui laissent leurs traces dans les cultures. Les associés doivent dialoguer pour faire comprendre que l’herbe n’est pas un terrain de jeu mais l’alimentation des vaches.

 

Des sols propices…s’il n’y a pas trop d’eau

Les sols autour de BOVAGNE sont de nature argilo-limoneux. S’il pleut beaucoup, l’accès aux champs est délicat, et les dégâts des passages des vaches créent des trous qui freinent la croissance de l’herbe.  Le relief de la Mandallaz, petite montagne de roche pure, crée des « fuites » en direction de la ferme. Les années sèches sont propices à l’exploitation avec un bon compromis entre la fraîcheur des sols et leur portance pour la pousse et l’exploitation de l’herbe.

 

Des éléments favorables à des prix élevés

La zone IGP Tomme de Savoie – Emmental – Raclette où se trouve l’élevage permet un prix du lait de 30 % à 40 % plus élevé que celui du lait conventionnel. Cela permet donc aux jeunes associés de croire en leur profession. La production laitière permet aussi de valoriser tous les types de parcelles.

Le pouvoir d’achat est élevé (Frontaliers Suisse et tourisme) et permet de vendre des fromages à des prix plutôt élevés.

L’inconvénient reste l’accès au foncier pour construire pour les jeunes agriculteurs notamment. La moindre location coûte 700 euros dans les environs.

Les charges en général sont élevées si on compare à du lait conventionnel, notamment les bâtiments de stockage. Actuellement, il faut compter 500 000 euros pour un bâtiment vrac + ventilo, terrassement et équipements compris.

 

L’EXPLOITATION

Qui travaille là ?

Le GAEC compte trois associés : Nicolas et Mathieu (frères) et Loïc, leur cousin, respectivement installés en 2002, 2009 et 2014. La moyenne d’âge est de 35 ans. Henri, le papa de Nicolas et Mathieu est encore présent et impliqué. Son aide représente 0,7 UTH tout au long de l’année pour les soins aux génisses notamment. L’exploitation s’est axée depuis ses débuts sur le lait. Le développement depuis 20 ans a été conséquent en termes de volume produit, passant de 400 000 litres en 2002 à 1 million de litres aujourd’hui, au fil des installations et modernisations.

 

Les équipements sont récents et confortables, ce qui permet d’avoir une bonne attractivité s’il fallait demain embaucher. Malgré les investissements, la charge de travail est conséquente. Il y aurait encore des marges de progrès sur l’organisation du travail, en particulier pour la traite qui reste longue (2 bonnes heures). Celle-ci fait partie des points limitants pour la gestion des week-ends ou congés. Le choix a été fait de trouver un compromis entre repos des uns et faisabilité du travail pour ceux qui restent, dans un souci de conservation de la qualité des résultats aussi.

 

 

 

 

LES SURFACES

Avoir plus de 100 ha dans les 3 kms autour du siège constitue une vraie force, pour le pâturage en premier lieu, mais aussi pour les fenaisons. Au-delà des économies de gasoil, cela facilite l’organisation des chantiers. En Haute-Savoie, avoir un parcellaire de qualité n’est pas aisé, tant les surfaces intéressent les agences immobilières, l’industrie, ou les centres médicaux.

 

 

 

 

 

LE TROUPEAU

Aujourd’hui, l’exploitation produit plus d’un million de litres de lait, valorisés en IGP Tomme de Savoie.

Les 110 vaches Montbéliardes produisent 8 500kg de lait, et sont nourries principalement d’herbe. La qualité du lait est satisfaisante, avec un taux cellulaire laiterie moyen de 89 000, un TB de 37.1 et un TP de 34.4.

Chaque année, 45 génisses sont élevées pour le renouvellement.

Le bâtiment des laitières est une stabulation logettes caillebottis de 100 places.

La ration de base hivernale est composée de foin et regain de séchage, de maïs épi et de maïs grain, et de tourteau soja/colza. Une complémentation en VL est disponible au DAC. Rappelons que dans le cahier des charges IGP Tomme de Savoie, le maïs épi est le seul aliment fermenté autorisé, et seulement durant les 6 mois d’hiver.

 

A 650 m d’altitude, la mise à l’herbe débute entre mi-mars et début avril. Le pâturage tournant dynamique est en place depuis quelques décennies à Bovagne ! Les laitières broutent en journée et parfois la nuit à la place de la journée lors des fortes chaleurs.  La circulation des vaches se fait bien, sans contrainte de routes. Le choix du pâturage est économique, et permet de s’inscrire dans la filière IGP.

 

Gestion : un suivi de la marge permanent

L’évolution du prix du lait est positive depuis 4 ans, et conforte les éleveurs dans leur choix. Pour autant, les éleveurs sont attentifs au coût de la ration.

 

 

 

 

L’alimentation est suivie de près, autant sur les résultats techniques, que sur les coûts alimentaires. A chaque passage d’étape en augmentation de volume,

 

 le suivi de la marge a été fait. La gestion des coûts est permanente. La santé économique de la ferme est bonne, et les prêts courts termes ne sont plus d’actualités, ce qui tranquillise l’esprit. En moyenne sur l’année 2021, le coût de ration s’élève à 189€/1000L, pour une consommation de concentrés de 278g/kg de lait produit. La moyenne de lait produit par vache est de 26,8 kg par jour.

 

 

 

 

 

Chaque mois le suivi de la marge alimentaire est réalisé avec le conseiller d’élevage Laurent Livet (coop Éleveurs des Savoie).

Nicolas précise que la maîtrise des coûts ne doit pas se faire au détriment de la santé ou de la reproduction des vaches avec propos à l’appui : « Ne rien dépenser n’est pas non plus une solution. »  Rémunérer les associés et solidifier l’exploitation sont deux objectifs importants. « Le fait de ne parler qu’en kg de lait par vache ou en hectares de surfaces est impensable. »

La vulnérabilité vient des aléas climatiques, fréquents et plus sévères qu’à l’époque des parents. Les achats à la suite des sécheresses peuvent plomber un exercice rapidement. Les années de réussite ou pas en maïs conditionnent les achats extérieurs. Les orages en été sont fréquents, et permettent de limiter la casse, puisque l’autonomie en fourrage est atteinte. Sur 3 à 4 coupes, le rendement annuel est de 10 tonnes de MS / ha.

 

Repro assurée = résultat développé

Les résultats de reproduction sont bons (1.5 IA/IAF aux vaches et 1.4 IA/IAF aux génisses en 100 % d’I.A). Le temps passé dans les stabulations pour les détections est donc payant. Le suivi mensuel de Bernard FOURNIER-BIDOZ l’inséminateur de la coopérative Éleveurs des Savoie contribue aussi aux résultats.  Avec le temps, la tolérance des éleveurs est moindre aussi sur les vaches qui se retardent, ce qui contribue à conserver les meilleures sur ces critères. Sur les 37 vaches « sorties » de l’exercice, il y en a seulement 4 réformées pour problème de reproduction. L’importance pour les éleveurs est de ne pas perdre un seul cycle. Celles qui sont inséminées en charolais ne sont pas les plus persistantes en lait, et doivent donc être pleines à 80 jours.

 

Des objectifs de sélection bien précis

 Les postes lait, mamelle, aplomb ont toujours été sélectionnés. Les fonctionnels le sont depuis 10 ans. En 2019, le troupeau a passé les 9300 kg de moyenne. Ce fût le seuil de limite, avec le constat que les vieilles vaches étaient fragilisées. Pour autant, en 2021, deux vaches ont tout de même été récompensées pour avoir passé les 100 000 kg de lait (Bourrache, fille d’OXALIN à 100 608 kg de lait en 9 lactations et Vanoise, fille de MASOLINO à 116 032 kg en 10 lactations). Lorsque la qualité du lait est bonne et que les vaches ont un cycle de reproduction normal, la plus-value vient avec la longévité. Amortir la phase d’élevage est devenu un objectif. Le choix de revenir à 8500 kg de moyenne a été fait et va dans ce sens, afin d’avoir des vaches qui durent.  Pour Nicolas, dans son élevage, le bon niveau en race Montbéliarde se situe entre 7500 et 9000kg.

 

Lactations longues et troupeau apaisé

Depuis 2008, la castration s’est mise en place sur les vaches pour lesquelles il n’y a plus de descendances souhaitées. Au-delà du calme que cela amène dans la stabulation, le maintien de la production sur la durée est un second effet avéré. Les éleveurs apprécient que l’énergie ingérée aille totalement dans le lait, plutôt que sur l’activité hormonale ou une gestation dont on ne valorisera pas le produit. FIDELITÉ, une vache qui a parcouru les concours et les podiums locaux a fait sa dernière lactation sur 2 ans après castration, et a produit 28 000 kg de lait après 28 contrôles consécutifs. Elle est de la même souche que VANOISE (la vache à 116 000 kg). FIDÉLITÉ affiche 19.5 kg de lait par jour de vie. Ce critère est désormais observé par les associés : il se situe en moyenne pour le troupeau à 10 kg par jour de vie par animal. 

 

Faire attention au renouvellement

Actuellement 45 génisses sont élevées par an. En conserver 35 serait une évolution, pour la maîtrise des coûts et le travail, mais l’engouement génétique refait vite surface. Toutes les femelles sont génotypées depuis 2 ans. La part de croisement industriel est de 40 %. La génomique permet de connaître les choses à l’avance, d’où l’usage de semences sexées sur les 1ere et 2èmes   lactations. Avant les éleveurs se rendaient compte des problèmes de reproduction et de santé à compter de la troisième ou quatrième lactation. Maintenant, ils peuvent mieux anticiper les accouplements. Le taux de parenté est attentivement suivi avec François DELAVOET, technicien Montbéliard de la zone. « Auparavant, pour des jumelles, on faisait une cote mal taillée en accouplement. Maintenant, on sait que chaque femelle a un mâle adapté » nous explique Nicolas. La fiabilité est ainsi relevée.

 

EVOLUTIONS

Arrêter le maïs épi : une décision réfléchie

L’ajout de maïs épi depuis quelques années dans la ration hivernale a permis un gain de 1000 kg de lait par vache. Néanmoins, Mathieu, Loïc et Nicolas ont pris la décision de l’arrêter l’hiver prochain pour une question de temps de travail notamment.

Avec l’installation du système de séchage déshumidificateur en 2019 permettant un foin « trop bon », le système maïs épi et ration distribuée en mélangeuse n’est plus adapté. Cette dernière n’est plus nécessaire puisqu’une griffe à foin permet d’aller du stockage jusque devant les vaches.

La coopérative laitière octroie un bonus de 20 euros / tonne pour le lait produit sans maïs épi. Non négligeable, surtout lorsque le foin sort à 14 de protéines, le regain à 21 et que le coût du tourteau de soja s’envole (520 euros en décembre soit +100 euros / 2020).

Revoir l’utilisation des produits vétérinaires

Les évolutions actuelles sur la réduction de l’usage des produits vétérinaires n’inquiètent pas les exploitants. Cependant, pour le moment, peu d’animaux sont taris sans antibiotique. L’accroissement de la production a nécessité d’avoir des animaux sains. L’enjeu a été de sécuriser la qualité du lait. Deux autres aspects n’ont pas incité au tarissement sélectif : le logement des taries en aire paillée, et une ration hivernale énergétique avec l’épi de maïs qui maintient un niveau de production soutenu. Aujourd’hui, ils utilisent différents produits à plus ou moins forte rémanence en fonction du statut des vaches. C’est une première étape vers une révision des pratiques.  Ces éleveurs sensibles à la santé humaine sont en effet favorables à revoir leurs méthodes de manière ciblée.

 

Inquiétudes locales : Le loup et la brucellose en alpage

30 génisses de plus de 15 mois montent en alpage individuel de juin à octobre à la station des Gets. Le problème du loup se fait sentir et inquiète, de même que la brucellose, présente sur les bouquetins du massif du Bargy.

Les associés du GAEC espèrent que ces deux problèmes ne mettront pas en péril les avantages de la pâture en altitude : pas de tonneau à déplacer, de fil à avancer et d’avantages de surfaces de fauche pour les stocks hivernaux. Une bergère est sur place pour la surveillance.

 

Constance : maitresse du résultat

Constance n’est pas le nom d’une Montbéliarde de l’élevage, mais le mot qui qualifie les méthodes de travail de l’élevage. Les vaches ont été mises au centre du système depuis toujours, avec des niveaux de production rentables. Produire un million de litres ne doit pas se faire au détriment des marges selon eux. La vigilance et la prise de recul fait partie du caractère des associés, et cela « guide » les décisions. La rentabilité est au rendez-vous avec un EBE à 270€/1000L. La place de l’herbe à la Ferme de Bovagne va reprendre de l’importance pour satisfaire les besoins économiques et la santé animale. Une manière pour eux de respecter le cahier des charges des Savoie où le lien terroir – animal – produit prend tout son sens.

Enfin, des panneaux photovoltaïques ont été installés sur le bâtiment de séchage en grange. A terme une partie pourra être auto-consommée, gage d’un peu plus de « verdure » dans les intrants.

C’est ainsi que les associés relèvent le défi de marier la montagne à la modernité !

 

Maxime MERMÉTY, Éleveurs des Savoie

 

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