Antibiotiques et antibiorésistance: quels enjeux aujourd’hui et demain ?

Les antibiotiques ont permis de faire considérablement reculer la mortalité associée aux maladies infectieuses au cours du 20ème siècle. Mais leur utilisation massive et répétée a conduit à l’apparition de bactéries résistantes à ces médicaments. Médecins, patients, éleveurs, comment tous nous responsabiliser pour endiguer ce phénomène ?

On ne va pas régler le problème de l’antibiorésistance comme on soignerait une maladie. Mais on sait ce qu’il faut faire pour freiner le phénomène. Ces « bonnes pratiques » doivent être prises à tous les niveaux et de façon durable dans le temps. Et ça démarre maintenant.

Quels sont les enjeux ?

La résistance aux antibiotiques est devenue une réalité à laquelle aucune région du monde n’échappe. Selon l’OMS, demain, des infections banales et des blessures légères pourraient devenir mortelles. Une prise de conscience mondiale est nécessaire. L’utilisation et la diffusion dans le  milieu d’antibiotiques et de biocides, notamment dans l’eau, sélectionnent des bactéries résistantes. Pour autant, il faut bien sûr pouvoir continuer à utiliser les antibiotiques, que ce soit en médecine humaine ou animale. Il faut « simplement » mieux les utiliser.

De l’importance des antibiotiques

Un antibiotique est une substance capable de stopper la croissance des bactéries.

Depuis 1930 et l’identification de la pénicilline, l’industrie pharmaceutique a régulièrement lancé de nouvelles générations d’antibiotiques à mesure que les anciennes matières actives devenaient moins efficaces. Mettre au point un antibiotique coûte cher (et doit rapporter aux laboratoires). Les incitations publiques à une moindre consommation ont découragé les laboratoires pharmaceutiques d’investir dans cette voie de recherche et l’arrivée de nouveaux antibiotiques a fait défaut au cours des dernières années.

Au cours du XXè siècle, le taux de mortalité dans le monde a diminué avec la mise en place de mesures d’hygiène, l’apparition de molécules antibiotiques et la vaccination.

L'introduction généralisée des antibiotiques après la Seconde Guerre mondiale a été l'un des progrès thérapeutiques les plus importants des dernières décennies. Les traitements antibiotiques ont fait progresser l'espérance de vie de plus de dix ans, soit plus qu'aucun autre traitement médical.

 

Cependant, l'usage généralisé, voire abusif de certains antibiotiques, y compris en traitement préventif, a introduit une pression de sélection qui a conduit au développement de populations de micro-organismes antibiorésistants et à une baisse générale de l'efficacité thérapeutique.

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que l’antibiorésistance ?

La résistance aux antibiotiques ne date pas d’hier. Depuis très longtemps, dans la nature, des micro-organismes produisent des antibiotiques naturels (exemple du champignon Penicillium). Des chercheurs ont retrouvé des gènes de résistance à plusieurs antibiotiques vieux de plus de 30 000 ans. Mais un certain équilibre existait dans la nature et ces résistances n’ont pas posé de problème jusqu’aux années 50 où on s’est mis à utiliser beaucoup d’antibiotiques, augmentant de fait, le phénomène de sélection de bactéries résistantes.


 

Ces résistances peuvent survenir via une mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie, permettant à cette dernière de contourner l’effet délétère de l’antibiotique. Elles peuvent aussi être liées à l’acquisition de matériel génétique (plasmide) porteur d’un ou plusieurs gènes de résistance, en provenance d’une autre bactérie. Les résistances chromosomiques ne concernent en général qu’un antibiotique ou une famille d’antibiotiques. Les résistances plasmidiques peuvent quant à elles concerner plusieurs antibiotiques, voire plusieurs familles d’antibiotiques. Elles représentent le mécanisme de résistance le plus répandu, soit 80 % des résistances acquises (source : INSERM).

 

Un phénomène mondial

L’eau est un vecteur majeur de dissémination des bactéries résistantes et des antibiotiques au sein d’une population. L’exposition aux antibiotiques est très variable selon les pays. C’est en Inde, en Chine et en Asie du Sud-Est que sont produits les antibiotiques aujourd’hui, avec des normes de rejets dans le milieu peu contraignantes. Une expérience a été menée pendant 10 ans à l’échelle mondiale. A partir d’une proportion de personnes porteuses de bactéries résistantes de 5% en 2001, selon le pays où vivent ces personnes, elles seront 70% en Asie du Sud-Est à être porteurs de cette résistance 10 ans plus tard contre seulement 5% en Europe.

 

L’Europe est (de loin) le continent le plus avancé dans le bon usage des antibiotiques. L’usage des antibiotiques comme facteurs de croissance en élevage y est interdit depuis 2006 (et encore utilisé dans de très nombreux pays). Les antibiotiques ne sont autorisés que pour un usage thérapeutique et ciblent une infection précise.
Cependant nous demeurons tous responsables : les facteurs de mise en place, d’échange de résistances sont complexes et la circulation des animaux, des hommes, des marchandises… étend les risques.

 

Que pouvons-nous faire ?

  • Prendre conscience du risque et comprendre les mécanismes de mise en place de résistances nous permet de limiter l’exposition aux antibiotiques de nous-même et de nos animaux.
  • En baissant notre consommation, nous rétablirons l’équilibre naturel entre les populations de bactéries résistantes et celles qui ne le sont pas. Cette concurrence fera diminuer la résistance.
  • Il est nécessaire de supprimer les antibiotiques utilisés comme facteur de croissance. Il y encore une majorité de pays qui les utilisent : faisons la promotion des produits français ou européens car nous sommes de loin les plus exemplaires à ce niveau. L’ANSES s’engage dans un programme de communication visant à mettre en avant les bonnes pratiques françaises et européennes.
  • En élevage, réfléchissons à limiter l’utilisation d’antibiotiques en prévention. Un animal bien nourri, bien logé et vacciné, c’est la base pour réduire la pression infectieuse et donc l’usage des antibiotiques.
  • En élevage laitier, l’animal qui développe le plus de résistance est le veau. Les quinze premiers jours de vie sont une période à risque. Hygiène et logement adéquats sont nécessaires. L’exposition se fait principalement par son alimentation : le lait. Des études sont en cours pour donner de la lisibilité sur ce sujet. Que faire du lait en cours de traitement ? Pour ne pas le donner au veau, pour ne pas le rejeter dans l’environnement… Peut-on limiter le développement de résistance en chauffant ce lait ?
    Quelles sont les alternatives efficaces aux antibiotiques, notamment au tarissement ?

 

L’antibiorésistance augmente dans le monde  et l’usage des antibiotiques est un facteur majeur. Cela pose un problème en médecine humaine, on ne peut pas l’ignorer. La transmission de l’antibiorésistance est malheureusement très efficace, et à tous niveaux. Tout usage d’antibiotiques doit être raisonné et bien utilisé. Les solutions ne sont pas uniquement médicamenteuses. Nous devons tous vivre désormais avec la prise de conscience que les antibiotiques sont des molécules précieuses.

 

Florence Fargier, Loire Conseil Elevage
d’après les propos de  Jean-Yves Madec,
Chef du pôle Antibiorésistance de l’ANSES, lors de l’assemblée générale de Loire Conseil Elevage en avril 2017 (l’ensemble des illustrations est issu de la présentation de M. Madec).

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